Alice est l’épouse d’un mari  alcoolodépendant dont le parcours est plutôt plus encourageant que pour beaucoup d’autres, notamment parce qu’il est suivi depuis plus d’un an et demi  dans un CSAPA : Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention des Addictions. Il n’y a pas de traitement mis en place mais par contre il a cet espace de parole. Et donc il y va régulièrement, une fois par mois.

Il y a une éducatrice et une psychologue. Au mois de février le rendez-vous a été annulé par le centre et peut-être en lien avec ce rendez vous annulé, il y a eu quelques rechutes.

– Et entre les rechutes ou la reconsommation, il reste sobre, abstinent ?
– Oui, c’est vraiment le soir. Mais voilà, dès qu’il a un coup de pression, et là il se met une pression avec un nouveau projet professionnel, il rechute. C’est sa manière de la vivre, je dirais… On va partir en vacances, il n’y aura pas de consommation, ça va être un apéro comme ça et ça ne va pas aller plus loin. Mais par contre, quand il sent qu’il y a un trop-plein, il va boire du whisky en cachette le soir . Mais entre ces périodes-là, il n’y a pas de consommation et tout va bien, il fait du sport, vous me parliez du sport, il est inscrit aussi à une salle de sport depuis un an et demi, pareil, et ça, ça l’aide beaucoup. Il voudrait que ça soit sa béquille à lui pour remplacer l’alcool.
– C’est effectivement un excellente béquille, moi ça m’a vraiment beaucoup aidé. En fait les addictions, c’est souvent le sommet de l’iceberg, dessous il y a des choses à gratter pour  rester rétabli sur la durée et moi c’est une hypnothérapeute qui m’a vraiment beaucoup, beaucoup aidé et en fait qui m’a fait switcher : au moment des émotions où la pression était un peu forte, moi c’est pareil, j’allais boire en cachette et j’utilisais ce liquide merveilleux qu’est l’alcool et après plusieurs consultations, elle m’a remplacé le besoin de gérer ces émotions, ce stress avec de l’alcool par le besoin de faire du sport et je m’en suis rendu compte de façon complètement inconsciente, c’est-à-dire que je me suis trouvé un soir avoir envie de mettre une paire de baskets et d’aller courir et là je me suis marré : mais en fait c’est le switch qui vient de se réaliser inconsciemment.
– Oui, oui, c’est sûr que c’est sur le niveau du cerveau aussi, les circuits sont reprogrammés, donc c’est sûr que, après c’est pareil, voilà, venant de moi il peut prendre ça comme du maternage aussi, effectivement, il faut que ça vienne de lui, je ne sais pas si ça a été évoqué ou pas, mais oui.
– Alors c’est effectivement le plus important, c’est-à-dire qu’il n’y a que lui qui va pouvoir construire son chemin. Tous les chemins sont différents et c’est bien pour ça que c’est hyper compliqué pour les structures et les gens qui accompagnent, et pour l’entourage évidemment, parce que dès que vous parlez, le risque quand vous suggérez des solutions, c’est qu’effectivement ce soit mal pris, et considéré comme du maternage, comme vous dites…
– Voilà, sachant que je travaille dans la santé, ça peut être mal perçu aussi, en fait on n’est pas les mieux placés pour en parler.
– C’est bien déjà que vous soyez consciente, puisque c’est encore le cas, donc du coup vous êtes vigilante à ça. Ça fait combien de temps, je ne sais plus si vous l’avez dit, qu’il est suivi dans le CSAPA  ?
– Un an et demi, je dirais
– Ok, vous êtes dans la santé, vous faites quoi, si ça ne vous dérange pas de l’évoquer ?
– Je travaille en pharmacie.
– D’accord, ok.
– Comment vous vivez ça, vous ?
– Ça dépend, j’ai ma casquette professionnelle où je vois surtout les effets à long terme. Ce que je vois c’est le cancer et même si ce n’est pas systématique,  je vois le parcours du combattant d’être aidante. Quand il y a eu la découverte, j’ai été dans l’observation en fait une semaine.
– Comment vous avez pris conscience de ça en fait, du fait qu’il buvait en cachette ?
– J’ai dû retrouver des tickets de caisse en rangeant, et dans notre cave à vin, il y avait des bouteilles vides. Sur cette semaine-là, il buvait une bouteille par jour, voire plus. Le truc c’est que je ne sens rien en fait, je n’ai jamais rien senti, je ne sais pas si mon corps me trompe aussi. Des fois j’ai des doutes, et puis dans les deux semaines, il a pris rendez-vous avec un centre. Les consultations, c’était trois, quatre mois de délai, mais cette démarche-là a été engagée et ce qui est fou, c’est qu’il a réellement arrêté. En fait, j’avais même peur, vu les quantités qu’il buvait, qu’il y ait des conséquences physiques à son sevrage, et pas du tout.
Et donc, je suis peut-être naïve, mais je sais qu’il y a des périodes où il ne consomme pas du tout et  maintenant, ce n’est pas l’odorat mais c’est la manière dont il parle, ses yeux, qui me permettent de savoir s’il a consommé ou pas.
Pour dire comment je le vis, j’ai le côté bienveillant : je suis là pour toi, et il le sait. Il me remercie régulièrement pour ça, mais ça a ses limites, parce que il y a des rechutes, et la bienveillance, elle a ses limites aussi.  Au fond de moi, ça m’énerve et je sais que ça ne sert à rien d’être dure mais en fait, c’est compliqué. On m’avait dit : « il faut qu’ils comprennent que ça ne vous convient pas », mais concrètement, c’est un poids, c’est un tabou. A part moi, personne de la famille n’est au courant, encore moins sa mère, parce qu’on imagine sa peine, sa douleur. On n’a pas envie de rajouter des soucis, en fait, à l’entourage.
– Déjà, il en parle à vous et ça, c’est déjà merveilleux. Si vraiment, il commençait à en parler de façon un peu plus élargie avec les amis et la famille, ce serait une super étape, parce qu’une fois qu’on l’a dit à des amis proches, à sa famille, en fait, tout le monde est bienveillant. Evidemment, au début, il peut y avoir une surprise, il peut y avoir des inquiétudes qui se génèrent, mais assez vite, sa famille et ses vrais amis, en fait, comprennent, accompagnent et ça construit une aide supplémentaire. Aujourd’hui, pour moi, c’est exactement le même sujet que pour quelqu’un qui est allergique au gluten. On fait un repas ou une activité ensemble, ils savent que je ne bois pas d’alcool et ce n’est vraiment plus compliqué, il n’y a personne qui va me solliciter, il n’y a personne qui va me poser de questions, enfin, on a dépassé ça. Avant de dépasser ça, ça prend du temps, évidemment, il y a une première étape où il y a beaucoup de questions, il y a des commentaires qui sont parfois inadaptés, parce qu’il y a trop de bienveillance, des fois, du coup, vous avez envie qu’on vous laisse tranquille.
– Oui, c’est quelqu’un de très renfermé, donc de là à en parler au cercle proche, j’entends, mais oui, ça me paraît extrêmement compliqué.
– Oui, mais ça l’aidera, donc il faudra qu’il y soit prêt.
– Après, dans son suivi, il n’est pas dans une abstinence totale. De ce que j’ai pu comprendre, il peut y avoir deux manières, entre guillemets : la consommation contrôlée, et il est vraiment là dedans, parce qu’une bière ne va pas du tout amener d’autres choses, comme le whisky et les alcools forts, par exemple. C’est vrai qu’on nous offre une bouteille de whisky, je sais que ça va être tendu, la dernière fois avec lui, avec son accord, je l’ai donné à quelqu’un, on ne l’a pas gardée. Par contre, on a reçu du monde il y a dix jours, la bouteille de blanc, elle est toujours au même niveau. C’est vraiment l’apéro, il en avait parlé aussi avec le psy, c’est cette étape-là de dire, quand on vous propose un verre, se projeter aussi sur les situations. Si on lâche un peu le week-end, vous savez que vous allez aller dans telle famille, vous savez qu’on va vous proposer un verre, et c’est pas mal de se projeter à l’avance dans la situation pour  trouver une raison de ne pas boire, sans pour autant officialiser le truc.
– Oui, c’est ce que je vous disais, c’est effectivement une démonstration de plus que chaque chemin est différent, un jour il en parlera, il faut espérer que ce soit le cas, il en parlera librement, sans pression, aussi facilement que tous les anciens addicts le font. Je ne vais pas me faire beaucoup d’amis avec ce que je vais dire juste après, mais je pense tellement que je vais le dire quand même : la consommation contrôlée, en fait, sur le long terme, il n’y a aucun addictologue qui l’a vu fonctionner. C’est une étape importante, intéressante, parce qu’effectivement, elle s’inscrit dans une logique de prévention des risques, donc on risque moins de développer des maladies graves, comme vous l’avez dit tout à l’heure, donc juste pour ça, c’est très bien. Par contre, sur l’addiction en elle-même, à long terme, ça ne marche pas, parce que dès qu’on alimente en molécule alcool la partie malade de notre cerveau, il y a tout qui se réactive, en fait. Et puis, au-delà de ça, pour moi, je sais que ce serait un enfer de me dire : pas plus de deux verres par jour, pas plus de cinq jours par semaine, soit dix unités d’alcool sur la semaine. Je me dirais : il m’en reste plus deux ou plus qu’une et je pense que je commencerais à développer des stratégies en me disant que comme le but, c’est quand même de s’alcooliser, de prendre les 10 d’un coup. Et donc, ça ne tient qu’à un moment. Après, peut-être que ça existe.
– Je ne m’étonne pas de ce que vous dites, parce que ça ne m’étonne pas plus. Mais ça, par contre, je n’ai pas vraiment le droit de le dire parce que ce n’est pas ma responsabilité.Je ne suis pas responsable de ça et je ne suis pas responsable non plus de sa guérison. Je peux être là, mais voilà.
– C’est très fort ce que vous dites. C’est vraiment ça. C’est vraiment la bonne attitude à avoir. Alors, c’est facile à dire comme ça, intellectualisé. Et c’est ça, en fait, sur le fond. Vous n’êtes pas responsable de sa maladie et de la façon qu’il va avoir de la gérer et d’en sortir. Maintenant, ça, c’est la partie intellectuelle du cerveau, la partie émotive et amoureuse, la partie du couple…
– C’est ça. La limite à la bienveillance, c’est que… C’est qu’on le prend pour soi. Effectivement, malgré tout, j’ai acquis beaucoup de connaissances sur le sujet. Par exemple, quand je vous ai contacté, on avait pris dix jours de congés. On n’avait pas forcément les enfants. Et c’est vrai qu’il finit ces dix jours, cette soirée-là, comme ça an s’alcoolisant. Pour moi, ça ternissait tout. Et là, je lui en ai vraiment voulu. Effectivement, dans le couple, c’est compliqué. On se sent seul. Vraiment seul.
– Oui, il y a de l’amour, il y a du désir et forcément il y a moins d’amour et moins de désir quand le conjoint est alcoolisé ou quand…
– Ah ben là, concrètement, oui, c’est clair que… Alors l’amour, oui, effectivement, pour moi, il y en a, effectivement, même s’il évolue, ça c’est universel. Mais le désir, oui, concrètement, c’est même pas la peine. Et le problème, c’est que moi, ça me met en colère. Du coup, moi, ça me pourrit ma nuit, c’est-à-dire que moi, je ne vais pas dormir, je vais être énervée, mais lui, il va dormir. Donc, en plus, moi, égoïstement, ça me crée de la fatigue supplémentaire dont je n’ai pas forcément besoin. Donc, oui, là-dessus, ça joue, oui, ça joue. – Vos enfants, ils sont petits, je crois, ils sont 5 et 7 ans, c’est ça ?
– C’est ça, oui.
– Eux, ils ont conscience de…
– Pas du tout.
– Alors après, ce sont des éponges, les enfants, si je puis dire. Là, ça va, ils sont petits, mais à l’adolescence, si c’est pas réglé avant, ça va se compliquer. Parce qu’autant on peut cacher, mentir à son conjoint et parfois, la naïveté du conjoint, ça peut être aidant, en fait, parce que ça évite les conflits mais avec un enfant, et en particulier un ado,  là, ça marche plus. Moi, ma fille, elle m’a dit un jour : « papa, de toute façon, tu peux raconter ce que tu veux, je sais, moi, quand tu as bu, parce que t’es pas le même. » Et  ça, c’est terrible. Donc j’espère qu’il évitera ça, et pour eux, et pour vous, et pour lui.
– Oui, je me dis, des fois, ils sont comme ça parce qu’ils sentent aussi, peut-être. Est-ce que ça peut déclencher ses envies de boire,  d’être sous pression avec les enfants aussi ? Et je pense que des fois, oui, c’est le cas. Mais du coup, si je peux me permettre, par rapport à votre fille, vos relations sont apaisées ?
– Ah oui, oui, vraiment. Vraiment. Je vais vous raconter ma vie. Je l’ai aidée à déménager le week-end dernier à Lille. On a passé six heures en voiture ensemble à papoter, à ce qu’elle me fasse découvrir ses musiques préférées. Et c’était vraiment très, très chouette. Un bon moment entre le papounet et sa fille.  On en a parlé, on est revenu sur sa période d’adolescence. Je suis un peu allé chercher la discussion pour qu’elle me dise comment elle avait vécu ça. Et en fait, elle était interne dans un lycée. Et heureusement qu’elle ne rentrait que le week-end. Ça aurait crashé vraiment sinon.

– Et  aussi, c’est qu’une autre réflexion que je me fais, est-ce qu’on peut pas aussi me reprocher plus tard, je sais pas, imaginons, il arrive quelque chose : « mais voilà, tu savais, t’as rien fait ». Que ça vienne des enfants, que ça vienne de la belle famille, enfin voilà, ou de toute autre personne. Après voilà, j’ai pas forcément à justifier effectivement mon attitude parce qu’ils sont pas là au quotidien.  -Pardon. Pardon. Déjà, vous n’avez pas rien fait, vous en faites beaucoup.
– Oui, c’est vrai.
– Ensuite, retirez ce sentiment de culpabilité, parce que vraiment, vous n’y êtes pour rien. Et c’est un sujet particulièrement compliqué. En fait, moi j’interviens dans les entreprises aussi en prévention des addictions. Et dans les entreprises, il y a une limite qui est la sécurité au travail par exemple. Quelqu’un qui arrive sur un chantier de la SNCF ou d’EDF qui ont des politiques de prévention sur ces sujets-là hyper avancées, quelqu’un qui arrive sur le chantier alcoolisé, là, on met de côté le traitement de la maladie, la bienveillance, etc. La priorité, c’est la sécurité du poste de travail. Et donc, on retire le salarié de son poste et on sanctionne si c’est prévu dans le règlement intérieur. Et ensuite, il peut y avoir un accompagnement qui redevient bienveillant, etc. Mais on est sur des sujets qui sont différents. J’ai un autre exemple : un jour, j’étais en conférence et il y a une épouse, parce que malheureusement, c’est beaucoup des femmes, qui me dit à propos de la bienveillance :  quand il y a de la violence, on fait comment ? Et là, pareil, on est sur un autre sujet. Donc, si il y a de la violence, ce n’est pas acceptable. Il ne faut pas accepter ça et mettre en place tout ce qu’il faut pour que ça ne se produise pas. Et après, il peut y avoir de l’accompagnement bienveillant, soit parce que ça peut revenir de la part de l’épouse, soit parce qu’ils sont séparés. Mais on est sur un autre sujet. En dehors de ces cas-là un peu très extrêmes, vous ne pouvez de toute façon pas faire grand-chose de plus que ce que vous faites. C’est d’accompagner, d’écouter, d’essayer d’en parler avec lui, de reposer le sujet sur la table sans être trop intrusive, trop lourde. Toujours les lendemains, ve  que vous faites déjà parce que, quand le cerveau est alcoolisé, ça ne sert à rien. Puis, croiser les doigts. Les CSAPA, parfois, peuvent proposer des rendez-vous avec les proches. Ça peut être intéressant de faire si vous avez un jour un rendez-vous à trois avec la psychologue.
– D’accord, oui.
– Vous êtes dans quelle région de France ?
– Bourgogne.
– Je ne sais pas si c’est au nord ou au sud de la Bourgogne, mais à Lyon, vous avez un programme qui s’appelle BREF.
– Oui, j’ai entendu que vous en parliez et  je voulais regarder, effectivement.
– Donc, vous regardez BREF Addicto Lyon, vous allez tomber sur l’hôpital Édouard Herriot. Et là, vous pouvez prendre rendez-vous. Vous avez trois rendez-vous qui sont programmés avec des professionnels des addictions. Et ça vous permet, vous, de poser vraiment tout avec des spécialistes, donc des psychologues, des addictologues. Et l’idée, c’est vraiment d’y aller pour vous et de parler de vous dans une logique de comment vous accompagner par rapport à lui, en fait. Et parmi vos amis proches, personne n’est au courant ? – Alors non, parce que… Non, non, non. On a vraiment… Parce que je sais que du moment… Je pense qu’elle pourraientt le garder pour elle mais ça parlera quand même. Et ça, il ne veut vraiment pas. Et on en revient justement à l’annonce, au fait de savoir… Alors après, ça fait le tri aussi, peut-être, dans les années. Mais ce regard-là, ce jugement-là, il n’est pas prêt. Ça, c’est clair. Mais on a l’impression de cacher… Des fois, je me dis : « si elles savaient » … Mais apprendre à prendre soin de soi, je le fais quand même aussi. Mais des fois, ça ne suffit pas. On aurait besoin d’aides. D’autres aides.
– Oui, et puis vous verrez que… Et il verra que le jour où il en parlera à vos amis communs, un, ça se passera bien, deux, ça va lui libérer d’en parler. Et vous, au passage, aussi.Et trois, il aura des réactions qui sont bienveillantes. L’image, en fait, j’ai expliqué ça dans un des podcasts. Le déni, la définition exacte du déni, c’est une part inconsciente de nous qui refuse la réalité parce qu’elle est trop dure à accepter. Et donc, c’est un phénomène physiologique de protection sauf qu’aujourd’hui, heureusement, en 2024, maintenant on sait que c’est une maladie…
– On sait que c’est une maladie, mais de là à l’accepter, il y a encore du chemin à faire aussi, malgré tout.
– Le jour où il en parlera à ses amis proches ou à sa famille, ça lui fera du bien, ça le libérera, et ça lui fera faire un pas de plus vers une sobriété très heureuse. Mais encore une fois, on le sait, vous et moi, ça ne peut venir que de lui. Après, encore une fois, son parcours, la capacité qu’il a à arrêter sans conséquences, son syndrome de sauvetage derrière, ça, c’est énorme, déjà. Le fait qu’il arrive à s’arrêter pendant des périodes de quelques jours, quelques semaines, quelques mois, c’est pareil. Il n’y en a pas beaucoup qui y arrivent même si c’est très bien mais en même temps, c’est piégeant. Je suis bien placé pour en parler parce que j’ai eu cette capacité-là longtemps. L’inconvénient de ça, c’est que du coup, on se dit, OK, je peux consommer puisque de toute façon, je sais que je peux m’arrêter. Alors que des personnes qui ne peuvent plus du tout s’arrêter et qui savent qu’elles ne peuvent plus du tout s’arrêter, quand l’envie revient, elles n’y vont pas parce qu’elles savent que ça va être l’enfer derrière. Moi, je savais que ça allait être compliqué, mais qu’un mois, deux mois après, je pouvais arrêter à nouveau. C’est à la fois très bien parce qu’il a cette capacité-là de s’arrêter, et donc, c’est hyper encourageant pour la suite. Il est allé à des groupes de paroles du type Alcooliques Anonymes et compagnie ?
– Non, je ne crois pas que ce soit trop son truc. On en a encore parlé aussi il n’y a pas longtemps.
– Vous pouvez lui suggérer, vous pouvez utiliser le prétexte de cet échange avec moi. Moi, j’ai fait 6-8 mois, je ne sais plus, aux Alcooliques Anonymes. J’en suis parti parce qu’il y avait une intégriste. Mais voilà, mais ce n’est pas le cas par tout le monde. Et puis, il y a des gens accessoirement à qui ça convient, ce côté spirituel et quand on dépasse ça, c’est vraiment hyper intéressant. Et tout le monde, et ça, moi je l’ai vécu aussi, tout le monde dit que c’est absolument incroyable. On a  l’impression au bout de 10 minutes, de se retrouver avec des gens qu’on connait depuis des années, qui expriment exactement ce qu’on vit. Et puis on a autour de la table des gens qui sont souriants, qui vont bien, qui sont là pour s’entraider. Et franchement, ça fait beaucoup de bien. Donc ça vaudrait le coup qu’il essaye. Il y en a plein, il y a les Alcooliques Anonymes, vous avez d’autres associations, Vie Libre, La Croix Bleue. Et après, il y a des groupes de paroles dans les hôpitaux, en hôpital de jour. Et ça vaudrait le coup qu’il tente ça. C’est un outil assez magique, en complément de ce qu’il fait déjà.

– Il y a toujours cette étape de franchir le…
– C’est ça. C’est des escaliers, et puis les marches, parfois, elles paraissent très hautes. Une fois qu’on est sur la marche, on se dit, finalement, ce n’est pas grand-chose. Elle paraissait monstrueuse. Et puis, votre rôle, là-dedans, encore une fois, il n’est pas simple. Est-ce que vous pouvez suggérer ? Si vous suggérez de façon un peu trop insistante, vous allez obtenir l’effet exactement inverse. Mais déjà, vous en parlez, c’est quelque chose qui est dit, qui est évoqué entre vous. Donc, doucement, avec bienveillance, comme vous le faites déjà, proposez d’autres pistes et puis après, il en fera ce qu’il veut.
– Oui, tout à fait.
– Mais déjà, le jour où vous en avez parlé, il a pris rendez-vous avec un CSAPA assez rapidement.
-Oui. ça fait déjà 3 ans. On a progressé, effectivement. Il a progressé.
– Que vous dire de plus ? Je vais vous souhaiter beaucoup de courage. Et puis, espérer que ça s’arrange. Mais encore une fois, je vous dis, en comparaison de tous ceux avec qui j’échange, lui, il est plutôt dans ceux qui ont le plus de probabilités de s’en sortir.
– D’accord. Oui. C’est sûr.
– Merci, en tout cas, Alice, pour cet échange.
– Merci à  vous aussi parce que ça doit vous prendre aussi pas mal de temps
– D’abord, c’est hyper intéressant. Et puis, indirectement, ça m’aide aussi, moi.
– Oui, c’est sûr, merci encore.