Cet article est une retranscription légèrement réécrite et donc avec un style très « oral » de l’interview de Nathalie, mariée depuis des années à un alcoolo-dépendant. Après avoir tout tenté, elle arrive au bout de sa bienveillance et elle éprouve le besoin de se séparer pour préserver sa santé à elle et celle de leur dernier fils. Vous pouvez également écouter cet échange sur la page Podcast
Bonjour Nathalie,
– Merci d’avoir accepté d’être la première à avoir accepté d’être interviewée.
– De toute façon, j’ai envie de dire tant mieux s’il y en a d’autres, je ne suis pas seule.
– Ah oui, il y a une chose qui est malheureusement claire, c’est qu’on est sur un sujet, sur un problème qui est vraiment massif.
– C’est le cas de le dire, oui. Massif. Je ne m’en rendais pas compte. Tant que je n’étais pas dedans, mais maintenant que je suis dedans, je me dis qu’il y a un vrai souci.
– Aujourd’hui, l’alcool c’est la deuxième cause de mortalité en France, c’est 49 000 décès par an qui auraient pu être évités et là-dedans ne sont pas comptabilisés tous les dégâts collatéraux.
– Oui, c’est-à-dire l’entourage.
– C’est ça.
– Voilà. Il faut parler des accidents au niveau de la route, pour ceux qui prennent le volant alcoolisé.
– C’est l’histoire de Pierre Palmade. En fait, la maman en face qui perd son bébé, ça ne s’est pas comptabilisé dans les chiffres.
– On est tellement dans les mensonges, les « je te raconte des histoires » et la manipulation que forcément je ne le crois plus. Je ne peux pas le croire.
– Malheureusement, on ne peut pas croire une personne dépendante quand elle est en plus sous l’influence du produit parce que ça fait partie du process. Je ne sais pas si vous avez écouté le podcast que j’ai enregistré sur le déni ?
– Si, et puis je me suis beaucoup interrogée, j’ai vu beaucoup de gens, beaucoup de témoignages, notamment sur Internet, donc forcément, je ne connais peut-être pas tout, mais je connais déjà pas mal de choses sur le problème. Mon mari m’accuse dans un SMS que je suis très douée pour aller chercher des infos sur Internet, mais que c’est un long travail. C’est vrai, c’est un long travail. Le problème, c’est que ça fait des années que ça dure et à chaque fois que je crois qu’il fait vraiment qu’il avance, je me reprends une gifle. Là, maintenant, tout de suite, je ne le crois plus du tout et je me dis que c’est foutu. Je suis prête à tout arrêter. Je crois que ce n’est plus possible.
– Je comprends que vous ne le croyez plus du tout. Ça, je pense que c’est une bonne chose. Après, que c’est foutu, non, c’est jamais foutu. Il y a des personnes qui s’en sortent. C’est Patrice que vous avez rencontré, c’est moi, c’est plein d’autres. Maintenant, c’est un chemin…
En fait, ce qui est très compliqué avec cette maladie, c’est qu’il n’y a pas de remède miracle; en tout cas, il n’y a pas un médicament. Et puis, en plus, le chemin de chaque malade va être différent. Donc, il faut que chacun construise son chemin et ça commence par l’acceptation qu’on est malade et qu’on veut se soigner. Le problème, c’est que tant qu’on n’en est pas là, ça ne marche pas. Donc, accompagner quelqu’un comme vous avez fait, avec des grosses guillemets, le forcer à se faire accompagner et à faire une cure, en fait, ça ne sert à rien parce que ce n’est pas une démarche qui vient de lui. Par contre, ce qui est quand même positif là-dedans, c’est qu’il est resté deux mois sans…
– Quel âge il a, votre mari ?
– 50.
– OK. Vous avez des enfants ?
– Trois enfants et… Enfin, mes deux filles sont partis maintenant, heureusement pour elles, mais il reste un garçon de 18 ans. Donc, c’est très compliqué.
– C’est ce que j’allais demander. Donc, avec le fils, ça doit être terrible à 18 ans.
– Mais c’est un cauchemar….C’est pour ça que j’ai pris la décision d’arrêter, parce qu’en fait, je me mets en danger et je mets mon garçon aussi en danger. Et là, je crois qu’il a compris que c’était la… L’expression qu’il dit, c’est la goutte qui fait déborder le vase. C’est pas la première fois que je le dis, mais c’est vraiment le cas, quoi. De toute façon, à un moment donné, il y a une frontière, il y a une espèce de limite entre être bienveillant, accompagner, sensibiliser et aider son proche.
– La limite, c’est quand on commence à toucher à sa sécurité, puisqu’il y a des violences parfois, ce qui n’est pas votre cas, ou sa santé. C’est-à-dire que si ça affecte de plus en plus votre santé mentale et que ça vous met en danger, à un moment donné, il faut vous protéger, vous. La priorité, c’est de vous protéger, vous, parce que si vous tombez, si vous chutez avec lui, ça va pas l’aider et vous, ça va vous détruire.
– Ça commençait, malheureusement, je vais vous le dire, mais il ne l’entend pas.Les gens n’entendent pas. C’est pire, parce qu’à la limite, je me fais traiter d’hystérique. Forcément, je me suis énervée l’autre fois, j’étais dans un état lamentable. Le retour, c’est ça. C’est l’incompréhension, c’est la non-écoute de l’autre. Ça, c’est un truc encore pire que le reste. Surtout quand on a mis pas mal de choses en place, qu’on a été là.
– Et puis, vous n’êtes pas mariée pour ça, à l’origine.
– Non, je ne me suis pas mariée pour ça. Et comme me l’a dit mon garçon, il se fait déjà quelques temps, il m’a dit, maman, tu ne veux pas passer ta vie à soigner quelqu’un qui est malade, surtout que l’alcool, on était d’accord là-dessus, ça peut engendrer des choses très graves au niveau santé. J’en parlais du fait que j’ai beau lui dire, mais il prend quand même le volant. L’autre fois, il a pris le volant, alors qu’il aurait très bien pu y aller à pied. Et j’ai beau lui dire : »mais tu peux tuer quelqu’un, tu peux te tuer toi », tout va bien. Mais bon, on est d’accord, ça ne sert à rien de faire un lavage de cerveau. Si on n’entend pas, on n’entend pas.
– C’est ça. Et puis le cerveau, quand il est sous l’influence du produit, en fait, il n’est plus rationnel du tout, il nous fait faire des trucs qu’on ne ferait jamais en étant lucide, comme prendre son volant, par exemple. Ca fait partie malheureusement du process et de la maladie. Donc une fois qu’on a dit ça, c’est bien, sauf que pour les proches, c’est, encore une fois, c’est terrible.Et votre garçon, la relation qu’il a avec son père, du coup, c’est quoi ? Il se frite ?
– À un moment donné, il m’a dit quand même pas mal de choses par rapport à son père, comme quoi, oui, parce qu’il n’est pas alcoolique d’hier, ça a commencé doucement, il fume aussi, de l’herbe, je vais être franche, il n’y a pas que l’alcool. Après là, il arrêtait depuis déjà quelques temps maintenant, mais il y avait un petit peu des deux. Et donc, oui, mon garçon lui en veut beaucoup. Et en même temps, il se sent coupable. Je lui ai dit, mais qu’est-ce qu’il n’a de coupable d’absolument rien du tout par rapport à ton père ?En bref, psychologiquement, il est bien, bien touché. C’est pour ça que je me suis dit, j’aurais dû partir déjà depuis longtemps, mais malheureusement, je suis comme tout le monde, j’espère un miracle. Parce que quand on a affaire à quelqu’un, on connaît la personne, on sait ce qu’elle vaut, voilà, c’est tout. Il est tout sauf un monstre mon mari. Je me dis : »je vais le sauver » mais je me rends bien compte que non seulement, je ne le sauve pas, mais surtout, j’emmène dans la spirale mes enfants. Et là, surtout mon garçon, qui est encore là. Au niveau des études, je vais être franche avec vous, ça n’a pas été simple. Je l’ai accompagné du mieux que j’ai pu, mais je vois bien que ça ne va pas. Non, il est touché.
– Mais souvent, pour revenir sur l’histoire du monstre, souvent les alcooliques, ou les personnes qui sont dépendantes, sont des gens sympas.On dit, ce n’est pas toujours partagé, mais on dit qu’on est des malades des émotions : on ne sait moins gérer nos émotions. Et le fait de prendre des produits augmente la puissance de ces émotions, qu’elles soient positives ou négatives. Du coup, ça entretient une espèce de cercle vicieux. On a des émotions plus fortes, et pour ne pas les gérer, on consomme un produit.Mais le fait de consommer le produit va renforcer la force de ces émotions. Donc en fait, on n’en sort jamais.
– Il boit quand ?Le soir ? La journée ? Vous savez ça ?
– À un moment de temps, il buvait tous les jours. Et à partir du moment où il a réussi à se calmer, il n’y a pas si longtemps que ça, je pensais que non, mais ça se voit tout de suite. Quand il a bu même une bière, ça se voit tout de suite avec mon mari.Je ne cherchais plus. Je me suis dit que j’allais jeter un coup d’oeil dans son garage. Ça doit être épisodique. Je ne sais pas. Il passe sa vie dans le garage. Là, ça va faire deux nuits qu’il dort dans la voiture. J’en suis même à me demander ce que je suis censée faire en tant que femme.
-Il dort dans la voiture dans le garage ?
– Il dort dans la voiture. Je me suis énervée. J’ai dit « tu ne rentre pas dans la maison si tu as bu ». C’est absolument invivable, non seulement pour moi, mais aussi pour mon garçon. Il m’a pris au mot, il a fait un caca nerveux et il est resté à dormir dehors. Entre deux, j’ai envoyé un message pour dire qu’il était chez lui aussi. Du moment que tu ne bois pas, tu peux venir dormir dans la maison. Il dormait dans sa voiture. C’est dingue. On en est là.
– Ce qui est fou, c’est que la maladie va toujours préférer l’alcool : il a le choix entre rentrer à la maison pas alcoolisé et s’alcooliser et dormir dans la voiture. Ce qui est compliqué, c’est que ce n’est pas un choix… Je suis bénévole à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon. J’ai rencontré des patients qui avaient des cirrhoses qui s’étaient fait greffer un foie. Là, on est sur des problèmes vitaux. On peut en mourir. Ils se remettaient à consommer parce que cette maladie était plus forte que tout.
Les alcooliques anonymes ont un fonctionnement où tous les mois ils discutent d’une étape. La première de ces étapes dit » j’ai reconnu que j’étais impuissant face à l’alcool ». C’est super fort parce que ça montre que ce n’est pas avec la volonté qur’on s’en sort. Ça demande beaucoup d’humilité. Ça m’a demandé un temps fou de l’assimiler. 1. C’est une maladie.2. J’y arriverai pas seul parce que cette maladie sera toujours plus forte que moi. Sauf si je le reconnais avec beaucoup d’humilité et que je me fais aider. C’est comme ça que ça marche. Cette première étape, chacun va la vivre en construisant son propre chemin.Pour beaucoup d’entre nous, il y a un moment qu’on appelle le déclic. On se dit qu’il faut se soigner. Parfois, le départ du proche ça déclenche ça. Pour être tout à fait clair, ça peut aussi déclencher l’inverse.
J’ai deux copains dans cette aventure : le premier, quand sa femme et ses enfants sont partis, il s’est écrié « yes !, maintenant je peux faire ce que je veux ». Je n’ai plus de limites. Elle ne va plus m’embêter. Je peux harceler.
– Oui, pour mon mari, je suis une harceleuse. Ça, j’ai bien compris. Je rigole, mais je rigole vert, je suis une hystérique et une harceleuse. Pour lui, j’ai peur que ce soit la même chose : « je vais enfin pouvoir faire ce que je veux ».
– Mon copain s’est retrouvé quelques mois plus tard aux urgences. Il s’est réveillé devant un médecin qui lui a dit : « monsieur, on a réussi à vous sauver cette fois-ci mais la prochaine fois, je ne suis pas sûr qu’on y arrivera à nouveau. Lui a eu son déclic à ce moment-là.
À l’inverse, j’ai un autre copain qui a la même maladie que nous. Lui, sa femme et ses enfants sont partis. Il s’est dit qu’il avait déjà trop perdu et que s’il continuait, il finirait par tout perdre y compris sa vie. Pour lui, le déclic a été ce moment-là.
Et ça, c’est très compliqué pour les proches. C’est super dur de prendre la décision de partir avec l’hypothèse derrière que ça le fasse plonger encore plus. Mais là, c’est son chemin. C’est pour ça que je vous disais tout à l’heure qu’il y a une limite entre l’accompagnement, la bienveillance, etc et puis vous. Si vous ne faites rien, il va continuer à s’enfoncer. Je ne connais aucune histoire d’addition qui se finisse bien si la personne reste dedans. Et vous, ça va vous détruire. Le fait de vous séparer… Peut-être que c’est ça qui peut lui déclencher le déclic. Mais je conçois que ce soit un choix super dur.
– Après, tout mon entourage me pousse vers la sortie. Même mes propres enfants. Ce sont mes enfants qui vivent mes moments torturés. Je ne les ai pas assez écoutés. J’ai traîné, j’ai traîné. J’en suis là. Je ne suis peut-être pas malade, mais je suis moi aussi dans le déni en me disant que ça va s’arranger. Je me rends bien compte que je suis au bout du bout. Il faut que je me protège. C’est pour ça que je témoigne aussi. C’est pour dire aux conjoints et conjointes, étant donné qu’il y a des femmes aussi, qu’il faut d’abord se protéger. Parce que si c’est pour finir dépressif voire même alcoolique, ce n’est pas la peine.
– Oui, ce qui est terrible, c’est que pour une personne alcoolique, il y a 5 personnes qui sont impactées en moyenne.
– Je peux vous dire que c’est exactement ça. Moi et mes 3 enfants, ça fait 4. C’est ça. On compte ses parents aussi. Tout le monde est impacté forcément. Par contre, je ne sais pas ce que vous en pensez mais j’ai l’impression d’être la « mauvaise » dans l’histoire, ce qui est incroyable quand même…
– Oui, c’est malheureusement très souvent le cas : je prends souvent un parallèle où j’assimile notre maladie à un cancer, c’est-à-dire qu’on a des cellules qui sont là normalement pour nous permettre de vivre et qui, à un moment donné, se transforment et nous attaquent avec l’intention claire de nous détruire. Les maladies de la dépendance, c’est la même chose, c’est-à-dire qu’on a une partie de notre cerveau, à un moment donné, qui disjoncte et qui se met à vouloir nous détruire. Et vous, vous êtes celle qui empêche ça, qui veut empêcher ça. Donc, forcément, vous êtes l’ennemie de cette partie-là du cerveau. Donc moi, je recommande deux choses : d’abord, aucune discussion quand son proche est alcoolisé ou drogué, parce que ça ne sert à rien. Qu’est-ce que vous lui dites, par exemple, le lendemain matin, quand il a dormi dans sa voiture où clairement, il était alcoolisé ?
– Il en arrive à ne même plus parler. Vous voyez ce que je veux dire ? Je peux parler, parler, parler. Je lui envoie des messages, je lui montre, par exemple, des témoignages., je lui ai fait écouter votre podcast parce que je trouvais ça important. Il a dit « oui, oui, je l’ai écouté ». Je l’ai pris, je vais être franche avec vous, je l’ai pris en vidéo une fois quand il est rentré dans un état lamentable, mais lamentable, pour lui montrer à quoi il ressemblait mais il m’accuse de faire ça pour la police ou pour le divorce. « Mais non, c’est juste pour te montrer dans quel état tu es, quoi, pour avoir l’effet miroir ». En fait, je peux faire tout ce que je veux. Il n’y a rien qui fonctionne, rien.Il n’y a pas vraiment de déclic. Là, ça, c’est sûr. Je pense qu’on le sait quand il y a un déclic. Parce que vous parliez de témoignages de gens qui s’en sont sortis. J’en ai rencontré plein. Mais quand je vois mon mari, je me dis qu’on n’en est pas là du tout.
– Oui, effectivement, il y a un moment où ça change. Enfin, il faut espérer. Mais voilà, Patrice, que vous avez rencontré, avant, il n’était pas très beau à voir. Moi, je n’étais pas non plus très beau à voir. Ce qui est terrible pour vous, c’est que vous essayez d’être bienveillante, mais ça a ses limites, la bienveillance. Vous ne pouvez rien faire, parce que ça va dépendre de lui. Le fait de montrer les vidéos le lendemain, en fait, ça peut avoir deux effets : soit ça peut augmenter sa culpabilité déjà probablement énorme, et le rendre triste ou agressif, soit ça peut provoquer le déclic, donc c’est bien de le faire. Après, il y a la façon dont on présente les choses qui va beaucoup changer sa réaction . Si vous montrez la vidéo en disant : « regarde, mon chéri, je me suis permis de te filmer hier, parce que vraiment, tu n’allais pas bien, je m’inquiète pour toi, et regarde ce qui s’est passé hier, et peut-être que ce serait bien que tu te fasses accompagner », ça marchera mieux que si vous lui dites : » regarde à quoi tu ressembles. »
– Oui, ça c’est sûr. C’est vrai que pour les aidants, ce n’est pas toujours facile d’utiliser les bonnes formules. Moi, je vais vous dire, la bienveillance, j’ai tout essayé. Au niveau psychologique, que je crois que je pourrais devenir une spécialiste.J’ai vraiment tout essayé maisà force, on n’a plus de bienveillance. C’est ça le problème. Et oui, à force, on devient agressif et ça devient très dangereux.
– Là, effectivement, il vaut mieux arrêter, parce que ça ne va faire qu’envenimer la maladie, votre relation, et puis votre santé, à vous, votre santé mentale. Et le break que vous avez fait, vous disiez tout à l’heure, vous avez fait un break d’un ou deux mois ?
– Je l’ai forcé, parce que je lui avais proposé une thérapie de couple. On a mis ça en place et il m’a dit « oui » tout de suite, alors qu’il n’y a pas mal de gens qui disent non, pas question, ce n’est pas pour moi, etc. Il me dit « oui. » C’est bien, on commence, ça avait bien commencé, mais comme entre deux, il y a toujours les conneries qui arrivent : je m’en vais boire, je m’en vais fréquenter des gens pas fréquentables, etc..et forcément, ça n’a servi à rien. Vous voyez ce que je veux dire ? Ça n’a servi à rien. Ce sont encore des portes que j’ai essayé de pousser et qui n’ont pas abouti, malheureusement.
– Est-ce qu’il a compris qu’il risquait de vous perdre, cette perspective-là ? Vous avez l’impression que ça ne change rien ?
– Là, vu la discussion qu’on a eue hier, avant-hier, j’ai l’impression qu’il n’y a plus rien qui rentre dans le cerveau. Désolé. Là, j’ai l’impression que c’est encore pire, en fait. Et je vous dis, le retour, ce n’est pas quelqu’un d’agressif, mais là, c’est des crises d’hystérie, j’en peux plus, et puis c’est tout. Il m’envoie des messages du genre « tu m’emmerdes », je n’ai pas répondu, je me suis dit « bon, laisse tomber ». J’ai souvent été traitée d’harceleuse, ou que en gros, je l’assassine, ce sont ses mots. Mais tout est tellement faux, vous voyez ce que je veux dire ? Quand ça va bien, dans la même journée, il va bien, on se parle, tout bien, tranquillement, mais vraiment bien. Moi, je le crois, c’est super, on avance. Et puis, dans la journée, il s’en va, il s’en va boire. Je l’ai souvent dit, c’est deux personnalités, mais c’est vrai, dans la même journée.
– C’est ça, Gainsbourg et Gainsbar, le renaud et le renard, c’est vraiment, c’est effectivement exactement ça. Et dès qu’il y a une goutte d’alcool dans notre sang, ça switch, et c’est le mauvais cerveau qui prend le contrôle.
– Oui, mais c’est pas mon mari, ce n’est pas mon mari mais il y a des périodes où il redevient lui-même.
– C’est quand même une excellente nouvelle, ça, c’est-à-dire qu’il y a quand même des moments où il est sobre, où il va bien, enfin, a priori, mais de toute façon, vous le verriez si ce n’était pas le cas, donc il est capable de le faire, il a fait sa cure pendant une semaine, au moins pendant cette semaine-là, il n’a pas consommé, donc il a pu voir les effets, et puis surtout, il est capable de le faire. Parce que vous avez des malades alcooliques, quand ils arrêtent l’alcool d’un seul coup, qui peuvent déclencher des crises d’épilepsie, des déliriums très minces, et ça peut être hyper dangereux pour eux. Lui, c’est, a priori, pas son cas, donc…
– Il m’a quand même fait de ces trucs bizarres, je vais vous donner un exemple : les antidépresseurs, à un moment donné, mais plusieurs fois, le médecin lui a donné des antidépresseurs, apparemment, ça ne fait pas bon ménage avec les autres médicaments et l’alcool, on est bien d’accord, ça, tout le monde le sait, mais quand vous avez quelqu’un qui prend des antidépresseurs, qu’il arrête au bout de deux semaines, et puis qu’il recommence, vous voyez ce que je veux dire ?
Il me l’a fait au moins dix fois, ça, et vous avez beau dire à la personne, mais c’est très dangereux de faire un truc pareil, autant ne pas en prendre du tout. Non, non, il m’a fait de ces délires, je me suis dit, est-ce que je dois appeler les urgences, est-ce que je dois appeler le SAMU ?
Une fois, ça m’est arrivé d’appeler le SAMU, on m’a bien fait comprendre que, de toute manière, ça ne servait à rien, sauf s’il était mourant, bien entendu, mais sinon, ils ne pourraient pas l’emmener parce que c’est un adulte, alors voilà, on en est là, dans ce pays, malheureusement.
Et oui, et puis le SAMU, ils sont tellement débordés par plein de trucs… Ah oui, non, mais voilà, j’ai un constat, ce n’est même plus une critique, c’est un constat, ils sont abandonnés, et puis voilà, comme beaucoup des dansés, on finit par abandonner, et on se dit, bon, ben voilà, on n’est pas non plus…
Vous savez, moi, en tant qu’étant, je me dis, est-ce que je suis sa femme, ou est-ce que je suis sa maman ?
Vous voyez ? Je ne sais pas, beaucoup de gens pensent la même chose, on en est là, j’ai un garçon de 18 ans, et j’ai un mari qui est un ado, donc en fait, j’ai deux ados à la maison, sauf que l’un a un coquin à la route et pas l’autre, alors que ça devrait être l’inverse.
Et puis il y en a un qui est votre mari, et que, encore une fois, vous n’avez pas épousé pour ça, quoi. Voilà, je n’ai pas épousé pour ça, ça ne rentre plus, il n’y a plus d’écoute, je sens bien, je lui parle calmement, parce que je me suis d’abord énervée, ça c’est vrai, le lendemain, je tente de lui parler calmement, j’essaie, ce n’est pas facile, mais j’ai l’impression que le regard n’est même plus là, vous voyez ce que je veux dire ?
La personne est éteinte, mon mari est éteint. C’est ça, c’est exactement ça, il y a des IRM qui montrent qu’il y a des parties du cerveau qui s’éteignent quand on consomme, entre autres, de l’alcool. Moi aussi, je suppose, parce que des fois je lui dis, mais si tu m’as dit ça hier, mais non je ne t’ai pas dit ça.
Une tentative de suicide, je vais te donner un exemple, ça c’était avant, parce que tu es parti en vacances avec les enfants, il fallait qu’on s’échappe, donc on est parti, on l’a laissé. Il me dit, maintenant tu te démerdes, nous on a besoin de pause.
Il m’a fait croire en revenant qu’il avait fait une tentative de suicide. Et je me suis dit, quand j’en ai reparlé, je me dis ça, je me suis dit, c’est quoi ça, c’est encore un mensonge, c’est du chantage affectif pour moi.
Là encore, il n’y a pas longtemps, il m’a envoyé un message, oui, j’ai pensé au suicide, mais pour les enfants, je tiens pour les enfants. Vous voyez ce que je veux dire ? Des choses comme ça, c’est assez violent, quand vous recevez ça en SMS, vous vous dites, à quoi il joue ?
Non, mais il y a des moments où il est… L’alcool en plus, c’est assez peu connu, mais c’est un dépresseur. C’est un très bon anxiolytique, j’ai envie de dire malheureusement, mais ça soulage, ça fait descendre l’anxiété, le stress, etc. Mais ça crée, au fond, ça installe une dépression, ça installe un état dépressif sur la durée.
Et plus on boit, et plus cet état dépressif augmente.
Ce qui fait qu’il y a des moments de détresse, quand il envoie un SMS où il dit ça, en fait je le ressens, parce que je suis passé par des phases identiques, il est complètement en détresse. Je l’ai bien compris, ne vous inquiétez pas, ce jour-là, je l’ai bien compris, mais en même temps, je me dis, en tant qu’étant, je ne peux plus rien faire.
Je ne peux même pas répondre à ça. De toute façon, la réponse, on est bien d’accord, elle ne va pas être reçue, ou entendue, ou comprise. Et la seule réponse constructive possible derrière, c’est de dire, écoute, j’entends, mais la solution, c’est que tu te fasses aider, que tu te fasses accompagner dans des structures de soins.
Mais ça, il est, d’après ce que vous dites, il n’est pas prêt à ça encore.
Là, c’est encore moi, il y a à peine une semaine de ça, qu’il m’est dit, non mais là, tu me dis que tout va bien, mais tu ne mets rien, il n’y a personne qui ne met rien en place. Pas de suivi psychologique, juste les médicaments du médecin pour l’école, c’est tout.
Pas de suivi, pas de réunion, parce que Patrice m’a donné son numéro de téléphone, il m’a dit, tiens, tu demandes à ton mari s’il veut me parler. Je lui ai donné le numéro, il m’a dit, si tu veux que je t’y aie, je n’ai rien à dire. Bon ben voilà, tu vois ce que je veux dire ?
Parce qu’on est dans le refus total de l’aide. C’est ça, il va guérir, en tout cas, il va construire son chemin du rétablissement, le jour où il va prendre son téléphone et où il va contacter, lui, une ressource d’aide.
Il y en a plein, pour le coup, en France, on est un pays bien doté en ressources d’aide, il y en a partout, dans toutes les villes, avec des structures différentes, les addictologues, l’ex-sapa, etc. Donc ça, ce n’est pas un souci de se faire aider. Par contre, et puis c’est public en plus, mais par contre, ça nécessite que ce soit lui qui fasse la démarche et pour ça, il faut, à un moment donné, qu’il passe par le déclic.
Donc il faut… Moi, le seul conseil, encore une fois, que je peux vous donner, c’est de vous préserver, c’est de vous éloigner, c’est de penser à votre santé, c’est que vos enfants pensent à la leur. Et puis après, il faut juste espérer que ce soit suffisant pour qu’ils réagissent.
Vous avez des…
Je ne sais pas si vous en avez parlé, Patrice, mais en parallèle des réunions des alcooliques anonymes, il y a des réunions qui s’appellent à l’anon. Oui, le problème avec l’anon, je ne peux pas rien dire. Comment ? J’ai le droit de dire ce que je veux ?
Oui, bien sûr, exprimez-vous librement. Moi, en tant qu’aidante, ici à Cherbourg, on a un groupe à l’anon, mais trop de bondiègerie pour moi et le monsieur avait essayé de la faire, il a poussé la porte, il y est allé deux, trois fois, mais non, ce n’est pas pour moi.
Le président voudrait enlever cet aspect un petit peu bondiègerie par lequel on est obligé de passer à chaque réunion. Vous voyez ce que je veux dire ? Je vois très très bien. Moi, je suis parti, j’ai quitté les alcooliques anonymes à cause de ça.
C’était un groupe qui était… Parce qu’après, chacun l’interprète comme il veut. C’était un groupe qui disait les puissances supérieures ou Dieu, c’est tel que vous l’entendez. Si vous n’y croyez pas, ce n’est pas grave. Puis sauf qu’à un moment donné, dans le groupe est arrivée une intégriste.
Et là, vraiment, il fallait absolument… Là, il fallait lire la Bible, le bouquin de Bill et Bob. Et bref, on a été… La moitié du groupe est partie. Donc, je comprends. Oui, effectivement, je comprends très bien. Leur avantage, c’est que ça permet…
Enfin, à la non, je vous en parle parce que si vous mettez ça un peu de côté, ça vous permet de poser le sac un peu, d’échanger avec des personnes qui vivent la même chose que vous. Mais j’ai trouvé d’autres solutions parce que je poussais la porte quand même.
Mais bon, là, par exemple, le groupe de parole, c’est un ancien alcoolique qui a monté ça.
Malheureusement, c’est qu’une fois par mois parce qu’il y a toujours une histoire de petits sous ou aussi de prêts de salles parce que les gens ne vont pas faire ça chez eux non plus et faire venir n’importe qui. Donc, il faut des salles. Ça, c’est toujours le problème quand même dans chaque région ou dans chaque ville.
Mais bon, au moins, c’est ouvert à tous. C’est pas seulement ouvert aux alcooliques anonymes. C’est aussi ouvert aux aidants, c’est ouvert aux enfants s’ils veulent. Enfin, c’est ouvert à tous. Ça m’a bien aidé quand même. La pilote-feu, vous voyez, je suis allée à La Réunion et Patrice me dit qu’il y en a une demain sur la pièce riche.
Je ne peux pas y aller ce soir. Non, c’est ce soir. Je ne peux pas y aller ce soir. Mais sinon, la dernière fois, j’y suis allée. Voilà. Ça permet moi d’entendre le témoignage des autres parce qu’en fait, en tant qu’aidant, il n’y avait que moi.
Donc, j’ai donné mon témoignage quand même en tant que aidante pour expliquer un petit peu mon ressenti sans juger. On n’est pas là pour se dire qui que ce soit. Mais ça s’est bien passé. Les gens qui étaient là et qui pourtant étaient malades, voilà, je veux dire, ils m’ont apprécié.
Moi, je les ai appréciés aussi parce que ça m’a quand même aidé à comprendre certaines choses. Moi, à l’époque, quand j’allais aux réunions des alcooliques anonymes, une fois par mois, il y avait une réunion ouverte où venaient pas mal d’alano. Et je pense que c’est un des éléments qui m’a le plus aidé, en fait, de me rendre compte de l’impact que ma maladie avait sur mes proches en entendant le témoignage des proches.
Du coup, des proches des malades. Vraiment, ça m’a hyper ému et comme… parce qu’en plus, ça a été hyper positif parce que c’est distancié. Si ça avait été mes proches qui avaient témoigné à la réunion, ça n’aurait pas du tout eu le même impact. On est d’accord.
Je veux dire, à un moment donné, on n’écoute plus les proches. C’est ça le problème. C’est comme les enfants. On n’écoute pas papa, maman. Il faut une tierce de personne. C’est pareil en fait, c’est la même chose. On dit souvent que la piscine est une réalité.
C’est pas avec la volonté qu’on s’en sort. Encore une fois, il y a vraiment besoin de se faire aider. Par contre, il faut quand même avoir le désir, l’envie de s’en sortir. Il faut vraiment prendre conscience qu’il y a un problème. C’est ça. Et se dire, j’ai envie de…
un, je suis conscient, c’est ce que vous dites, je suis conscient d’avoir un gros problème avec l’alcool. Il faut que je me fasse aider. Et à partir de là, ça se met en route.
C’est facile à dire, mais pour que ça vienne profondément en soi et que vraiment on ait envie de le faire, c’est beaucoup plus compliqué en fait. Après ça, j’en ai pris conscience depuis le temps que je me bats. Mais à force, j’y arrive plus. Je ne peux rien faire de plus.
Et je pense que les aidants, comme vous dites, c’est la rupture. C’est à un moment donné, on met de côté le lendemain, par exemple. Et on se dit, je peux encore mettre de côté, je peux patienter, je peux pardonner. Et puis on est d’accord qu’à un moment donné, on n’y arrive plus.
Et là, moi, je n’y arrive plus en fait.
Donc je pense que c’est là la rupture. C’est quand on n’arrive même plus à avoir… J’ai pas envie de dire pitié, j’aime pas ce mot-là, mais c’est un peu ça quand même. Il y a de ça malheureusement, on en est là. C’est un petit peu ça. En fait, on finit par ne rien ressentir.
Je pense que c’est là que ça devient critique. En tout cas pour les aidants. Quand il n’y a plus de bienveillance, en tout cas. Enfin si, il y a toujours de la bienveillance, mais quand il n’y a plus de patience… Le lien est rompu en fait. Oui, c’est ça.
Le lien est rompu. Oui, parce que ça peut vite se transformer. Enfin, je sais parler de tout le monde, mais moi, je vois bien que c’est limite ça se transforme en haine un petit peu. C’est ça. On finit par détester l’autre. Détester l’image, détester la façon de faire, détester les mensonges, détester tout ça quoi.
Oui, je suis là en fait. Et pourtant, c’est dingue parce qu’il y a encore des sentiments, parce qu’on connaît la personne. On s’est dit, ce n’est pas la personne quand elle est sous l’emprise. Ce n’est pas cette personne-là. Mais bon, comme vous dites, on ne peut pas faire grand-chose.
C’est le pire de tout, c’est de se dire, on ne peut rien faire, en fait. On peut proposer, mais ça s’arrête là. Comme vous le disiez tout à l’heure, vous êtes l’adversaire, vous êtes l’ennemi qui empêche cette partie-là de fonctionner. C’est facile à dire, mais en tant que proche, c’est terrible ça.
C’est un cauchemar. Vous pouvez dire le mot, c’est un cauchemar. C’est un cauchemar pour les enfants aussi, on n’en parle pas assez. Je remarquais ça, on n’en parle pas assez, même dans les réunions, même dans les centres d’addiction.
On n’en parle pas assez, les enfants. Bonsoir, les enfants, ils ont leur mot à dire, non ? Enfin, je ne sais pas moi, mais ils ont leur mot à dire, pour le dire. Ils prennent cher, les enfants, c’est des éponges. À l’adolescence, ils sont fragiles, il faut qu’ils affirment leur personnalité, donc l’opposition à un parent qui est alcoolique, c’est dur, quoi.
Vous disiez tout à l’heure, votre fils, du coup, il est conscient, parce que vous avez parlé de maladie quand vous avez évoqué votre fils, donc pour votre fils, c’est une maladie. Il a bien compris que c’était une maladie, et lui aussi, des fois, il va parler à son père, mais tu ne te rends pas compte.
Enfin, moi, j’ai essayé de lui faire entendre raison, donc du coup, j’ai essayé de lui faire comprendre que ça ne servait pas à grand-chose et qu’il fallait mieux laisser, qu’il fallait qu’il pense à lui.
En tant que maman, c’est normal que je dise ça, mais bon, ce n’est pas pour ça que ça fonctionne, c’est déjà pareil. Il m’a même dit une fois, j’ai peur d’être comme papa. J’ai dit, c’est ce dont on parlait exactement, que si je me mettais à boire, il ne boit pas, il voit ce que c’est, donc il ne boit pas, mais ça pourrait être l’inverse.
Voilà, je pense que chez les jeunes, on voit ce genre de choses. Ils tombent dans l’alcool aussi facilement, déjà en temps normal. Il a fait une soirée, donc il m’a dit, je dis, maman, mais là, je prends ma première cuisson. Qu’est-ce qu’il me fait ?
Non, mais j’ai eu de la trouille dans ma vie. Je lui ai dit, non, moi, il ne doit pas s’y mettre, lui aussi. Et là, c’est plein des clés qui m’ont fait dire, non, mais là, il faut que j’arrête, il faut s’en sortir. Parce que j’ai eu des témoignages quand même.
Donc, M. de La Réunion, M. Avouane, il a eu un déclic à un moment donné. Il avait déjà perdu son travail. Il a dit, je vais perdre ma femme, je vais perdre mes enfants. Et là, il a eu ce déclic. J’ai espéré qu’il y ait un déclic avant. Comme vous dites, il peut y avoir un déclic après.
Je vois ma tante qui a divorcé. Le déclic est arrivé après. Mais malheureusement, c’est trop tard. Parce que souvent, quand la famille part, je ne sais pas si elle n’a qu’à revenir, mais moi, je ne pense pas que je souhaite ce genre à revenir. Comme vous dites, après, il peut y avoir de très mauvaise confiance déjà, de mauvais ressentis.
Oui, ma mémoire, elle est toujours là.
Non, mais après, s’il s’en sort, vous pourrez construire une autre relation, une relation plus amicale. Et surtout pour les enfants, je pense. J’ai encore eu de ça. Ce n’est plus une histoire de conjoint. Les enfants, c’est les enfants. Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse.
Et puis effectivement, un super déclic, les enfants et les petits-enfants. Dans les réunions alcooliques anonymes, il y avait souvent des gens qui prenaient conscience avec leurs petits-enfants en se disant, mais en fait, ma fille, mon fils ne veut pas me confier son enfant parce qu’il a peur.
Et ça, ça déclenche souvent aussi des déclics.
Le fait de perdre le contact avec ses enfants, qu’ils s’éloignent, qu’on n’ait plus de relation, je pense que c’est aussi un élément super fort qui peut le faire bouger. Mais en tout cas, vous n’en êtes pas responsable. Ou pas. J’insiste là-dessus. Ou pas.
J’ai l’impression que c’est ça du côté de mon mari. Chaque fois, je me dis, ça y est, là, il va peut-être prendre conscience parce que ses enfants, je lui dis, là, tu es en train de les perdre. Surtout ma fille, pas ma première, mais ma deuxième. Je ne veux plus entendre parler de son père.
La communication est coupée. Quand je dis coupée, c’est coupée. Et quand il est allé mieux après les vacances cet été, là, il lui a reparlé. Je dis, alors, ça fait quoi ? Il était super content. Et remette, on recommence quand même. Et là, son fils, notre garçon, quand j’ai dû déménager ma fille à 600 kilomètres, je me suis dit, qu’est-ce que je fais ?
Je ne pouvais pas emmener mon garçon, il était au lycée. Qu’est-ce que je fais ? Je peux vous assurer que je n’étais pas rassurée du tout.
Parce que même s’il était dans une bonne période à ce moment, il pouvait rechuter. Je me dis, tant pis, j’en ai parlé à mon garçon, il avait 17 ans, ce n’était pas non plus un gros bébé. Je peux vous assurer que je venais à peine d’arriver et dans la nuit, il m’appelait en me disant, oui, papa, il est rentré à 4 heures du matin, complètement bourré.
Du coup, heureusement, j’avais une superbe amie qui m’a dit, bon, il va venir à la maison. Donc, pendant une semaine, j’étais rassurée, vous voyez ce que je veux dire ? Ce n’est même plus un grand-père ou une grand-mère, c’est son propre père qui n’est pas capable d’assumer son enfant.
Et là, il a réagi comment quand son fils est parti chez une amie ? Il a pris conscience, encore une fois, sur le coudre. Il s’est rendu compte qu’il avait été trop loin à tout. Mais ça n’a pas empêché de recommencer quand même et de ne pas se faire soigner.
C’est cette histoire de, je n’ai toujours pas pris conscience qu’il fallait que je me soigne.
Mais vous savez, il y a longtemps, il m’avait dit, oui, je veux bien me calmer et tout, mais surtout, ne m’empêche pas de boire un coup de temps en temps. Bon, déjà, quand vous entendez ça, vous vous dites, ce n’est pas gagné, quoi. Non, le chemin n’est pas encore fait.
Mais j’en ai vu un, moi, à l’hôpital de la Croix-Rousse, lundi, qui a fait une crise d’épilepsie en rentrant d’office à l’hôpital direct, qui a des gros problèmes de santé qui sont liés à l’alcool. Et puis on échange, là. Et puis il me dit, non, mais j’ai bien compris que pour moi, c’était fini, c’était dangereux.
Voilà. Et puis on continue à discuter. Et au bout de, je ne sais pas, une demi-heure d’entretien, il me dit, bon, quand même, de temps en temps, j’ai des potes, ils aiment bien manger, c’est des bons vivants.
Donc un bon Bordeaux avec un plat, ça, je me l’autoriserais de temps en temps. Et là, j’ai éclaté de rire, quoi. Et je lui ai dit, vous savez, comme moi, que ce bon verre de Bordeaux-là, il va vous coûter terriblement cher. Donc non, à un moment donné, oui, il va falloir renoncer à ce bon verre de Bordeaux-là.
Mais finalement, avec le temps, ce n’est pas si dur que ça. Et puis c’est mieux de renoncer à ça et de ne pas refuter que l’inverse, quoi. Parce qu’on sait que si on touche à une goutte de ce produit qui est toxique, en général, et encore plus pour nous, on repart direct.
Mais ça fait partie du chemin. C’est-à-dire qu’en fait, on se fait une montagne de la vie en société sans alcool, parce que c’est tellement installé dans notre culture qu’on n’imagine pas vivre sans.
— La culture française, oui. — Ah ben oui. Voilà. Et puis autant sur le tabac, on a beaucoup progressé. Mais sur l’alcool, il y a tellement d’emplois, d’économies, etc., que… — Quand vous voyez que dans les supermarchés, on trouve encore, normalement…
Il ne devrait pas y avoir d’incitation. Et j’ai appelé… Je ne vais pas citer le nom parce que je n’ai pas le droit, apparemment, mais je peux vous assurer que je les ai appelés. Je vais dire mais vous vous rendez compte ? Là-haut, vous mettez des alcools forts à la caisse.
À la caisse. Là, c’est plus des bonbons ou du chocolat, hein, dans l’alcool. Ah, incroyable. — Oui. — Vous parlez d’Espagne. Mais en France, ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu filmer. Comment c’est possible des trucs pareils ? Il n’y a pas grand-chose de fait.
Et pourtant, l’État ne peut pas être conscient de ça, puisqu’il y a même de plus en plus de jeunes, si j’ai bien compris, qui tendent, quoi.
— Ah ben, je vous… Malheureusement, je vous confirme. En fait, chez les jeunes, il y a un phénomène… Bon, ça fait déjà quelques années, mais il y a un phénomène de binge-drinking qui ne vient de l’Europe du Nord et du Royaume-Uni. Et le principe, c’est vendredi soir, samedi soir, je bois de l’alcool fort le plus vite possible pour m’alcooliser le plus vite possible.
— Ah ouais, c’est ça. — Et du coup, c’est tellement… Chez les étudiants, notamment, c’est tellement ancré dans la culture que celui ou celle qui n’a pas envie de se saouler, en fait, se fait exclure par le reste du groupe. Et du coup, ça va déclencher ça, ça va créer des malades, parce que je ne sais plus, entre guillemets, m’amuser ou sortir le vendredi soir et le samedi soir sans être totalement ivre-mort.
Et au bout d’un moment, le cerveau, il associe la sortie à être ivre-mort. — Avec l’alcool. — Avec l’alcool, et avec l’alcool massif et qui ne fait pas du bien. Donc on ne sait pas bien comment ça démarre, ces maladies, mais le fait de stimuler le cerveau de cette façon-là aussi régulièrement, on est à peu près certain que ça va déclencher des choses graves chez la plupart…
Enfin, chez quelques-uns de ces jeunes, en tout cas. — C’est le problème de mon garçon, là. Voilà, il s’en rend bien compte. Il me dit… Les autres, ils ne pensent qu’à ça, en fait. Arriver le week-end, boire un coup… Même au sport, même au sport.
Ça veut dire… Ils ne pensent qu’à ça. Du coup, il n’est pas très bien… Ouais, j’avoue, il n’est pas très bien dans sa peau pour plein de choses, mais pour ça aussi.
Pour ça que le soir, il a pris une cuite. Voilà. Ça s’est dit. Au moins, c’est fait. Et au moins, il m’aura prévenu. Je préfère ça que… Ça ne sert à rien de me prévenir. De toute façon, il n’a rien fait. Mais bon, au moins, il l’aura testé. Il n’a pas été bien pendant 3 heures quand même.
Donc c’est une sorte de fréquentation aussi, malheureusement. Mais comme vous dites, socialement parlant, il y a un homme qui m’a parlé à La Réunion. Il m’a dit que c’est vrai que socialement, je n’aimais pas boire. Et j’ai même une copine qui avait tendance à ne plus boire.
Mais les gens, ils n’ont toujours pas compris que je ne buvais plus. Ce qui fait que dès que c’est le vélo, son propre mari lui a fait le coup. Il lui a servi un verre de vin avant d’avoir un déclic. Il a dit que je ne bois plus.
Alors c’était pourtant lui qui lui disait de se calmer avec l’alcool. Vous voyez ce que je veux dire ? C’est dingue quand même. Et vous n’avez pas envie de dire que vous avez un problème avec l’alcool parce que ça reste honteux dans notre pays. Et du coup, ça crée des situations où parfois, il y a des gens qui rechutent à ce moment-là parce qu’ils n’osent pas dire non, ils ne savent pas comment l’exprimer.
Et c’est terrifiant ça. Alors aujourd’hui, moi j’ai plus aucun souci avec ça. On me propose un verre d’alcool, je dis non merci, je ne bois pas d’alcool. Je le dis de façon suffisamment ferme pour qu’on ne m’embête pas et pour qu’on ne vienne pas me poser des questions sur mes pourquoi, machin, etc.
Mais ça a demandé des années de pouvoir faire ça. Oui c’est ça, on ne se prend pas toujours au lendemain, ça demande un travail sur soi. Ça dépend du caractère de chacun aussi. Derrière qu’il enchaîne par ce qu’on appelle une post-cure où on apprend justement à vivre en société, dans cette société où on est sollicité en permanence.
Il aura la possibilité matérielle de se faire accompagner pendant un mois ou deux.
Il faut juste que ça vienne de lui et peut-être il faut espérer que votre départ déclenche ça, que ce ne soit pas pire. Et si c’est pire, ça ne sera pas de votre faute. Surtout les enfants. Surtout eux qui doivent se dire que moi je suis une adulte, mais les enfants c’est dur à avaler.
C’est vrai qu’ils sont coupables. Encore moi je ne dis pas, mais mes enfants, pourquoi ils se sentiraient coupables de ça, je ne comprends pas. Mais bon, la balade… La culpabilité chez les enfants est souvent liée à l’adolescence. Comme tout adolescent, ils ont dû lui en mettre un peu plein la tête.
Et peut-être un peu plus à cause de son état. Et du coup ils culpabilisent forcément à cause de ça. Mais encore une fois, ce n’est pas de leur responsabilité. Si leur père est malade, si leur père avait eu un cancer, ce n’était pas de leur responsabilité.
Là c’est pareil. Bah oui c’est pareil, ça c’est un truc à dire ça, c’est une maladie et puis c’est tout, t’es pas responsable de la maladie de qui que ce soit, ouais.
Absolument. C’est pas non plus une contagion, c’est pas comme si on disait, oh bah tiens, toi t’as le Covid sur le fil, ou le sida sur le fil express, ah on est de rien, voilà. Absolument, avec quand même une hypothèse très forte, de plus en plus forte, qui est un caractère génétique.
Ouais, c’est ce que j’ai entendu, ouais. À cette maladie, en fait c’est venu des Américains et des enfants adoptés. En fait, pendant longtemps, donc les enfants qui ont été adoptés sont souvent plus addicts que les autres, et pendant longtemps on a pensé que c’était logique, et que c’était lié au fait qu’il y avait un manque qui a comblé à cause de l’abandon de leurs parents biologiques, etc.
Et puis il y a des médecins américains qui se sont dit, non non, il y a quand même un truc qui est étonnant, c’est que des enfants adoptés qui grandissent dans des familles où ça se passe super bien, où il n’y a pas le conflit à un moment donné lié à l’abandon des parents biologiques, ils sont entourés d’amour, il n’y a pas de produits toxiques à la maison, etc.
, qu’eux deviennent addicts, c’est pas normal.
Et du coup ils sont remontés, parce qu’aux Etats-Unis on peut le faire, ils sont remontés sur les dossiers des parents biologiques. Et là, bingo, à chaque fois, ou quasiment à chaque fois qu’un enfant adopté qui grandissait dans une famille saine, on va dire, devenait addict, les parents biologiques l’étaient.
Du coup il y a plein de recherches là-dessus, sur le ou les gènes, parce qu’évidemment le jour où on trouve ça, ça va être chouette, qui déclenche la maladie, mais c’est une démonstration de plus, plus toutes les IRM qui ont été faites, qui démontrent que c’est vraiment une maladie, il n’y a pas de débat là-dessus, il n’y a plus de débat là-dessus.
Donc vos enfants, il faut bien leur répéter ça. C’est très inquiétant, c’est inquiétant. La preuve, c’est que son père est alcoolique, c’est un alcoolique dans le déni, il n’en est pas au même état que mon mari malgré tout, je ne sais même pas comment il fait d’ailleurs, mais bon, c’est un alcoolique.
Certainement son grand-père encore avant. Alors du coup, je ne vous ai pas rassuré, parce que vous avez pensé à votre fils immédiatement, j’imagine. Mais dites-lui ça, qu’il soit vigilant. Il y a quand même un énorme avantage à notre maladie. Je reprends le parallèle, malheureux, avec le cancer, vous avez des cancers où on vous explique qu’il vous reste entre 3 et 6 mois à vivre, et vous ne pouvez rien faire.
Là, il suffit de ne pas toucher le verre pour que ça ne se déclenche pas ou que ça ne s’entretienne pas. Donc votre fils, il peut entendre ça. Il peut entendre que peut-être, vu la lignée des hommes chez vous, il serait mieux qu’il soit vigilant. Il a plutôt intérêt parce que là, il a 18 ans, donc il est au lycée.
L’année prochaine, je ne sais pas où il va être. Je vais regarder ça. Université, pas université, je ne sais pas pour l’instant. Il va falloir que je prépare à tout ça. Pour l’instant, vous voyez ce que j’ai dit, il est un peu dans sa bulle. Ça fait qu’il est un peu en retrait par rapport aux autres.
Malheureusement pour lui, il est plus mature que la moyenne de sa classe. Ça joue aussi en faveur. Après l’université, généralement, c’est une autre étape pour les jeunes. Une étape où c’est la découverte, le déclenchement d’un tas de choses. C’est les rencontres, bonnes ou mauvaises malheureusement.
Il va falloir être vigilant quand même.
Mettez-les en garde sur cet aspect-là. Le message, c’est une maladie, il y a un caractère génétique. Auprès des jeunes, il passe bien. Je ne suis pas aussi justement… Moi, ça n’a rien à voir, c’est pas parce que ton père est alcoolique que tu es alcoolique.
Mais j’avais pas pensé à cet aspect-là, vous avez raison. Le mieux, c’est d’être clair. Surtout qu’il est dans les sciences. Ça fait plutôt plus intéressant. Il y a vraiment beaucoup de recherche aujourd’hui là-dessus. Si jamais on trouve un jour le ou les jeunes qui sont responsables de ça, c’est bingo.
La solution derrière. C’est ça, oui.
Mais quand on identifie déjà les jeunes défaillants, après il y a des solutions. Il peut y avoir un travail à faire là-dessus. J’espère en tout cas. Parce que c’est vraiment, comme vous dites, une catastrophe. Les gens ne s’imaginent pas, parce que c’est un sujet tabou l’alcool, n’est-ce pas ?
C’est vraiment un sujet tabou. Ah bon, t’es un même predicteur de la famille, super. Surtout pour en parler. C’est juste pour ça que c’est très difficile, on est seul. Les étangs sont seuls aussi. C’est ça le problème. Que ce soit les enfants, la femme, le conjoint.
Même les parents. C’est des parents, je suppose. C’est très difficile de pousser les portes et de se faire entendre ou d’en parler à l’entourage.
Même les parents de mon mari. C’est le sujet tabou, vous voyez ce que je veux dire ? Personne ne vient me voir en me disant alors, est-ce que ça va ? Je veux dire, démerde-toi ma cocotte. Avec mon garçon, si je veux parler à ma mère, ça va être ça en gros.
C’est incroyable quand même. C’est vrai qu’il y a une sorte de génération, mais enfin quand même. C’est clair que c’est compliqué. J’espère que cet échange vous a été profitable, que ça vous aide. Oui, ça c’est tout. On apprend aussi certaines choses en parlant.
Avec les gens qui en sont passés par là aussi. Je pense que j’aurais peut-être aussi besoin de personnes aidantes. C’est vrai qu’il y a une réunion des fois pour les étangs, c’est nouveau apparemment.
Même si c’est un jour. Il faut pour les étangs qu’il y ait un peu plus de sens de fête. Il y a un dispositif qui existe sur Lyon, qui est en train d’être déployé partout, je ne sais pas chez vous, qui s’appelle BREF. Et c’est top. Franchement, je participe à ça.
On est en train de le développer, de le déployer. En fait, c’est trois entretiens. Trois entretiens qui sont assez espacés. Premier entretien, on ne parle que de vous. C’est infirmiers, addictologues et parfois des patients experts. C’est vous, comment vous allez, comment vous pouvez faire pour aller mieux.
On prend pas mal de sujets qu’on a évoqués ensemble aujourd’hui. Sur la culpabilité notamment, que ce n’est pas de votre responsabilité, que c’est de la sienne.
Deuxième rendez-vous, là où on parle du proche et de comment vous pouvez l’aider, tout en vous mettant en danger vous. Et puis, troisième entretien, c’est plus un entretien de débrief pour faire le point sur comment les choses ont évolué. Donc, si vous avez la chance, je ne sais pas chez vous, mais si vous avez la chance de pouvoir rejoindre un dispositif comme ça, c’est top.
Ça vous fera du bien. D’accord. Je vais me renseigner, alors. J’ai demandé à Patrice, mais c’est vrai, il m’a donné un petit truc. Sur le handicap, je ne pense pas que ce soit judicieux. Il n’y a pas grand-chose de fait. Pour les proches, il n’y a rien.
Ce n’est pas grand-chose. C’est pour ça que j’ai créé Collatéral. Les meurs au CNP. Comme le CNP, ils sont débordés, débrouillez-vous.
C’est compliqué quand même. Il y a beaucoup de choses de mises en place, mais il y a quand même beaucoup de malades, beaucoup de gens qui ont besoin d’aide. Ça devient quand même compliqué. C’est clair. C’est des portes. Vous m’avez dit BREF. BREF comme BREF.
B-R-E-F. Vous cherchez BREF Addicto. Ou sinon, si vous pouvez intégrer des groupes de paroles, ça vous fera du bien au psy. D’accord. Écoutez, je suis fatiguée. C’est épuisant moralement, mentalement, tout ce que vous vivez. D’en parler pendant un peu plus d’une heure, ça remue plein de trucs, donc reposez-vous, prenez soin de vous.
Merci. Merci à vous, et puis bon courage encore. Merci, au revoir. Au revoir, Nathalie
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