Beaucoup de proches de personnes malades d’addiction se demandent à partir de quel moment est-ce qu’on est addict ? à partir de quel moment on est alcoolique ? dépendant à une substance ou dépendant à un comportement ? à un jeu vidéo par exemple.
Plusieurs possibilités, votre conjoint, votre enfant, votre parent, votre ami a reconnu son addiction, tant mieux, il a déjà fait un grand pas, mais peut-être qu’il nie encore lorsque vous retrouvez des cadavres de bouteilles dans des endroits improbables, quand il se réveille tard un peu trop souvent ou plus généralement quand vous le sentez différent, parfois euphorique, parfois triste, parfois absent mais avec des changements d’humeur et des comportements qui n’étaient pas ceux de la personne que vous connaissiez avant.
Il peut arriver que vous vous disputiez plus souvent sans raison et vous pensez qu’il est peut-être tout simplement fatigué ou que c’est une mauvaise passe, mais souvent au fond de vous en réalité vous savez qu’il y a un problème sans forcément mettre des mots dessus, sans arriver à le définir, sans vouloir peut-être, et puis vous doutez, vous finissez par ne plus savoir s’il ment quand il dit qu’il n’a pas bu, pas fumé, pas joué à des jeux vidéos toute la nuit.
Pour enfin savoir et connaître la vérité vous allez enquêter, vous allez trouver des feuilles de papier à cigarette un peu longues, des cadavres de bouteilles, des historiques de connexion à internet. Quand vous trouvez ces éléments de preuve, en bon policier vous risquez de confronter vos découvertes avec ce que vous raconte votre proche et en faisant ça vous allez le mettre dans une situation où il va se sentir piégé et coupable, sa réaction va être de nier. Elle sera peut-être brutale, agressive parce qu’il va prendre ça comme une attaque, et finalement vous n’aurez rien réglé, bien au contraire.
Il n’y a pas un seul addict au monde, en tout cas pas un que je ne connaisse, qui ne se lève pas le matin sans un énorme sentiment de culpabilité, ça fait partie du package de la maladie tout comme le déni. Quand vous renforcez la culpabilité de votre proche, en fait vous l’incitez davantage à retourner vers son addiction, vers son remède (en tout cas à court terme), vers sa souffrance.
Donc non seulement ça ne marche pas, mais en fait votre attitude est contre-productive, c’est-à-dire que vous allez plutôt favoriser encore plus la maladie. Une fois qu’on a dit ça, c’est très bien, mais vous en avez marre de tout ça, vous en avez marre de douter, et puis peut-être à cause du déni, votre proche ne croit pas lui-même qu’il est addict, alors qu’il l’est, et que vous êtes vous persuadés qu’il l’est, tout ça c’est insupportable.
Alors est-ce qu’elle ou il est addict ou pas ? Est-ce que c’est une question de fréquence par exemple ? Si je bois tous les jours, est-ce que je suis alcoolique ? Et la réponse est non, ce n’est pas une question de fréquence.
Est-ce que c’est une question de quantité ? Est-ce que si je bois beaucoup et que ça ne me fait rien ? Est-ce que si je bois tous les jours deux, trois, quatre verres de vin le soir quand je rentre chez moi, est-ce que je suis alcoolique ? Eh bien la réponse est non.
En fait ce qui va définir véritablement l’addiction, on va le voir après, c’est la notion de dépendance, et puis tout un tas d’autres critères qui vont permettre d’être un peu plus précis que ça.
L’OMS donne des recommandations de santé par exemple qui disent pour un homme, mais c’est moins pour une femme, pas plus de deux verres par jour, pas plus de dix verres par semaine, et pas tous les jours. Mais ça ce sont des recommandations en fait qui sont des recommandations de santé, c’est-à-dire que si vous dépassez ces quantités-là, si vous dépassez ces doses, vous prenez des risques sur votre santé, vous prenez le risque de développer des maladies qui ne se seraient développées si vous n’aviez pas surdosé votre consommation d’alcool. Mais vous pouvez être en surdosage de consommation, en surdosage de comportement, et pour autant ne pas être addict. Une question qui revient souvent par exemple c’est : est-ce que mon ado, mon jeune, qui rentre torché tous les vendredis et tous les samedis soir, qui s’alcoolise très vite, très fort, comme le font la plupart de ses potes aujourd’hui avec ce phénomène binge drinking qui nous vient et des pays du nord, de l’Europe et du Royaume-Uni, est-ce que mon jeune est addict ?
En fait la réponse globale c’est la capacité à s’en passer. Si votre fille ou votre fils peut sortir de temps en temps sans s’alcooliser et que ça ne lui manque pas, et la notion qui est importante c’est celle-là, c’est que ça ne lui manque pas, bah écoutez tout va bien.Et donc encore une fois c’est cette notion de manque qui est importante. Si vous buvez deux verres par jour mais que vous vous en passez quand vous voulez, pas de souci tout va bien. Si par contre vous décidez de ne pas boire pendant quelques jours et que vous y pensez tout le temps, à ce moment-là vous avez probablement un problème.
Alors pour vous aider et aller plus loin il existe deux outils, tout d’abord une définition qui est la définition la plus utilisée aujourd’hui par les spécialistes de l’addiction. Elle nous vient de Goodman qui est un psychiatre américain qui a rédigé cette définition dans les années 90. C’est une définition un peu longue mais ce qui est bien c’est qu’elle couvre l’intégralité du sujet. Donc que nous dit Goodman ? Il dit qu’une addiction c’est un processus dans lequel est réalisé un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur.
Jusque là, donc là on est sur la première partie de la définition, tout le monde suit et tout le monde comprend. Effectivement un produit psychoactif ou un jeu ça va, soit procurer du plaisir : un bon verre de vin c’est agréable, une bonne bière fraîche en terrasse c’est sympa. On voit bien également la notion de soulager un malaise intérieur : qui n’a pas bu un verre un soir après une journée particulièrement stressante ? L’alcool est un très bon anxiolytique, c’est aussi un dépresseur donc ça favorise la dépression mais ça c’est un autre sujet.En tout cas ça détend sur l’instant.
Fumer un joint ça a ce même effet si je suis anxieux, stressé, etc. de me soulager. Fumer une cigarette tout simplement : tous ceux qui ont fumé un jour ont constaté que la première cigarette n’était pas bonne et si on a insisté et si on a poursuivi alors que c’était pas bon, c’était pour soulager un malaise intérieur et dans ce cas là c’était plutôt pour faire comme les autres, pour ne pas se sentir exclu. Et se sentir exclu c’est une forme de malaise intérieur.
Donc, pour résumer cette première partie de la définition, quand on consomme un produit psychoactif ou quand on a un comportement de jeu par exemple, on le fait avant tout parce que ça nous apporte quelque chose d’intéressant.
Là où ça se complique, c’est dans la deuxième partie de la définition, puisqu’il dit ensuite, le docteur Goodman : « et qui se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit de conséquences négatives ». En clair, je n’arrive plus à contrôler ma consommation, c’est à dire que je décide de moins consommer et je n’y arrive pas, je décide de ne pas consommer pendant quelques jours et je n’y arrive pas.
Là on a bien la démonstration du problème d’addiction. La deuxième partie de cette deuxième partie si je puis dire, « sa persistance en dépit de conséquences négatives », non seulement je ne contrôle pas, mais j’ai des gueules de bois, je ne me reconnais pas, je me mets dans des situations dangereuses, je me dispute avec des gens avec qui je ne me dispute jamais, je peux avoir même des accidents, voire des accidents graves. Ca va me calmer pendant un temps et malgré tout, et malgré toutes les conséquences négatives du fait de ma consommation ou de mon comportement, comme par exemple : ne plus être productif à mon travail, arriver en retard, perdre mon emploi , etc.. je persiste. Donc, non seulement je ne contrôle plus, mais en plus je persiste malgré les conséquences négatives.
Donc ça, ça donne une définition globale. On a un outil qui est beaucoup plus précis, qui est utilisé par les addictologues, lui il s’appelle le DSM-5. En fait c’est une grille de classification pour les troubles mentaux et l’addiction est considérée aujourd’hui définitivement, il n’y a plus de débat là-dessus, comme une maladie.
Ce DSM-5 propose des critères qui permettent de définir non seulement si on est addict, mais en plus de définir son niveau d’addiction.
Il y a 11 critères dans ce DSM qui dit que quand on en coche deux à trois, on est légèrement addict, on a une faible addiction, ce n’est pas grave, si ça reste à ce niveau là, on peut parfaitement vivre et continuer sa vie, en dehors bien sûr des risques liés à sa santé, aux conséquences sur sa santé que je citais tout à l’heure, mais en termes d’addiction en tout cas, si on ne change pas et s’il n’y a pas de nouveaux critères qui apparaissent, tout va bien.
4 à 5, on est modérément addict et 6 et plus, cette fois on souffre d’une addiction qui est une addiction extrêmement sévère. Et ça c’est génial, donc encore une fois, parce que ça concerne toutes les addictions, que ce soit l’alcool, les drogues, les jeux et même le sport, puisque si je fais trop de sport, à un moment donné je vais me blesser, donc c’est une conséquence négative, et malgré ça je vais recommencer, je vais persister en me faisant mal et en faisant moins plaisir, et là on est plus dans une addiction que dans une démarche qui est une démarche saine.
Donc cette grille elle va permettre non seulement d’identifier clairement si votre proche est addict ou pas, mais elle va servir aussi à évaluer son niveau d’addiction. Autre truc génial, c’est un outil superbe à proposer à un proche, évidemment quand il est en état de vous écouter et qu’il est ok pour le faire, puisque pour guérir d’une addiction chacun doit créer son propre chemin, c’est pour ça que c’est compliqué. Il n’y a pas de remède miracle, mais c’est au malade et à lui seul de le faire.
Vous pouvez vous utiliser ce DSM 5 pour enfin savoir vous, pour être enfin fixé, et pour votre proche, la bonne méthode pour l’aider à construire son chemin, c’est de lui dire avec bienveillance, un lendemain où ça s’est mal passé et où visiblement il n’était pas en état : écoute je m’inquiète pour toi, je vois bien que ces derniers temps tu ne vas pas bien, regarde par exemple :… et à ce moment là vous citez des faits, puis vous enchaînez avec : »je me suis posé la question de l’addiction, peut-être que tu pourrais te poser la question aussi, j’ai trouvé un truc le DSM 5, tiens je te le donne, c’est peut-être intéressant que tu regardes », et ensuite vous le laissez faire. S’il conclut tout de suite à son addiction et vous en parle, c’est magique bingo, il est parti sur le bon chemin, mais malheureusement c’est pas souvent comme ça que ça se passe. S’il le lit vaguement et qui’il le met de côté, ce n’est pas grave, vous avez planté une graine, et pour accompagner un proche addict, c’est souvent ça en fait qui marche : planter des graines en espérant qu’elles germent.
Donc ce DSM 5 je vais vous le détailler, je le mets en lien dans le descriptif du podcast et sur nos réseaux sociaux et ici : https://www.drogues.gouv.fr/quest-ce-quune-addiction C’est le site officiel du gouvernement : drogues.gouv.fr, mais ne vous arrêtez pas au terme de drogue, ça marche pour l’intégralité des addictions.
Le premier critère, c’est un besoin impérieux et irrépressible de consommer la substance ou de jouer, c’est ce qu’on appelle le craving dans notre langage. Moi si je m’adresse à un autre addict et que je lui parle de craving, il comprend immédiatement de quoi il s’agit. Quand on n’est pas malade, c’est un peu compliqué à comprendre parce que c’est un phénomène étrange.
Pour vous raconter une anecdote, un jour j’avais décidé que je ne voulais pas boire, c’est même pas que j’avais décidé, c’était une journée sans alcool. Et puis je me retrouve à la supérette avec ma main gauche qui attrape le pack de bière et en me disant, mais sans combat, c’était pas l’ange et le démon sur mes épaules, là, c’était vraiment au fond de moi, je ne voulais pas boire mais j’avais l’impression que ma main était complètement désolidarisée, en fait qu’elle agissait toute seule et donc j’ai acheté le pack de bière, j’ai payé en me disant aujourd’hui je ne bois pas et j’ai fini par aller boire derrière.
Dans mon chemin à moi, j’ai suivi des séances d’hypnothérapie et j’ai vraiment ressenti exactement la même chose que lorsqu’on est hypnotisé. Si vous avez déjà vu un spectacle d’hypnose grand public, Mesmer par exemple, les gens quand ils sortent de leur état hypnotique et qu’on leur demande comment ils ont vécu ça, ils vous disent : c’est fou parce que je faisais des choses que je ne voulais pas au fond de moi faire, mais je les faisais comme si j’étais obligé, comme si une partie de moi avait pris le contrôle, faisait ce qu’elle avait envie de faire indépendamment de ce que moi j’avais envie de faire. Donc c’est ça le craving et encore une fois je pense que tant qu’on ne l’a pas vécu, c’est très compliqué. Donc moi j’ai bien coché cette case là.
Le deuxième critère c’est la perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié à la prise de substance ou au jeu, c’est-à-dire : je décide ce soir de ne boire qu’un verre et puis je rentre torché et si ça se répète un peu régulièrement, c’est clairement une perte de contrôle et donc une deuxième case à cocher.
Le troisième, c’est beaucoup de temps consacré à la recherche de substances ou au jeu. Quand on est addict, on passe un temps énorme à construire des stratégies pour aller s’approvisionner sans que ça se voit, à consommer, à récupérer, et le jeu c’est pareil, on passe beaucoup de temps ensuite à récupérer et à dormir parce qu’on a joué trop longtemps, on passe beaucoup de temps, si c’est un jeu vidéo.
Le quatrième, c’est l’augmentation de la tolérance aux produits addictifs. Ça c’est un signal, c’est ce qu’on appelle un signal faible qui est très facile à identifier pour les proches. Si en soirée vous voyez votre parent, votre ami, votre enfant ou votre conjoint capable de boire une bouteille de vin, plusieurs verres de whisky et malgré ça, et malgré ce niveau de consommation, tenir toujours debout et ne pas avoir l’air du tout alcoolisé, vous avez un signe qu’il a un souci parce que pour en arriver à ce niveau-là de tolérance, il a fallu pratiquer, il a fallu beaucoup d’expérience. Régulièrement, on voit des records, des gens avec 3, 4, 5 grammes d’alcool par litre de sang. Si vous, vous aviez le même taux d’alcool dans votre sang, en n’étant pas addict et pas habitué, il y a longtemps que vous seriez mort en fait. Donc ça, c’est vraiment un critère intéressant.
Le suivant, c’est la présence d’un syndrome de sevrage. Chez les alcooliques, ça peut donner des tremblements, des sueurs quand il n’a pas son produit. Chez un héroïnomane, ça va être beaucoup plus puissant. Mais chez un joueur, vous allez avoir aussi un développement d’anxiété, des manifestations de stress qui sont liées au fait que le produit, le comportement n’a pas pu se produire. Quand vous partez en vacances avec votre proche ou quand vous êtes plusieurs jours ensemble en vase clos, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et que la possibilité de jouer ou la possibilité de consommer est réduite, si vous voyez que votre proche commence à ne pas aller bien, vous avez une case qui se coche.
Le suivant, c’est l’incapacité de remplir des obligations importantes. Je dois aller chercher mes enfants à l’école. Aujourd’hui, j’ai une réunion très importante. J’ai un rendez-vous extrêmement important pour trouver un emploi par exemple, et je n’y vais pas ou votre proche plutôt n’y va pas.
Le suivant, c’est l’usage même lorsqu’il y a un risque physique. Vous avez plein d’exemples. Vous avez l’exemple de la personne qui va conduire alors qu’elle est alcoolisée et qu’elle sait parfaitement qu’elle est à plus de 0,5. Vous avez la personne qui va s’acheter du cannabis ou de la cocaïne et qui va aller tard le soir dans des endroits un peu malsains. Quand on est sain, on ne va pas provoquer le danger. Quand on est addict, quand on est dépendant à un produit, la dépendance est tellement forte qu’elle passe avant le danger.
Le critère suivant, ce sont les problèmes personnels et sociaux. C’est-à-dire que la consommation et la dépendance au jeu, à un comportement ou à un produit provoquent des problèmes personnels. Il y a des disputes. Il peut même y avoir des violences. Il peut y avoir des problèmes sociaux avec les voisins, avec des amis, dans la rue. Vous avez des gens qui vont se bagarrer. Ça aussi, c’est un critère.
Le suivant, ce sont les désirs ou les efforts persistants pour diminuer les doses ou l’activité. C’est ce que je disais en introduction. Je veux arrêter, je veux réduire, je n’y arrive pas.
L’avant-dernier, ce sont les activités réduites au profit de la consommation ou du jeu. Si votre proche qui faisait du sport, qui aimait bien le cinéma, qui aimait bien lire, qui aimait bien danser et qui avait des activités et vous voyez qu’il ne sort plus ou qu’il sort beaucoup moins et qu’il abandonne au fur et à mesure toutes ces activités-là, là vous avez aussi un critère possible d’addiction.
Et puis le dernier, c’est la poursuite de la consommation malgré les dégâts physiques ou psychologiques. Là, on est quand même à un stade un peu plus avancé. Votre proche commence à avoir des problèmes cognitifs, des pertes de mémoire, des pertes de concentration. Physiquement, il ou elle a beaucoup maigri, beaucoup grossi, peut-être développé des maladies de type cirrhose, pancréatite. Et malgré ça, il continue à consommer. Donc là, évidemment, vous avez un critère.
Voilà, donc l’idée, c’est d’essayer d’évaluer l’addiction de votre proche par rapport à ces différents critères, et que lui s’évalue de son côté. Si tout va bien, qu’il est à l’écoute et qu’il est prêt, vous pouvez même le faire ensemble. C’est un superbe outil de prise de conscience. Et puis surtout, ça vous permet de répondre, vous, aux questions terribles que vous vous posez si vous avez un proche addict et qui ment et qui cache, par déni.
Vous aurez aussi une idée du niveau de l’addiction de votre proche. Encore une fois, s’il coche deux ou trois critères, c’est à surveiller pour que ça n’évolue pas. Mais ce n’est pas très grave.
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